Je vous vois venir. Vous allez me dire que la meilleure McLaren de tous les temps, et meilleure Formule 1 de l’histoire avec 15 victoires sur 16 GP était la MP4/4, et vous auriez raison. Mais sa carrière stupéfiante pourrait bien être due en grande partie à la MP4/2. Retour sur une monoplace qui a révolutionné le monde de la course et ouvert la voie à nos F1 contemporaines.
Peau de carbone
En recrutant l’ingénieur Anglais John Barnard, l’écurie McLaren allait atteindre un autre niveau de compétence. Pourtant nombreux étaient ceux qui doutaient. En 1981, quand le bruit se mit à courir que l’équipe préparait une coque en carbone, personne n’y croyait. “La voiture va désintégrer au premier gros freinage”, “Il suffira qu’un mécanicien laisse tomber un outil pour faire un trou dans la coque”, voilà le genre de choses qu’on pouvait entendre à l’époque dans le paddock.
Ron Dennis, jeune patron de McLaren voulait faire bouger les choses, John Barnard avait toute sa confiance, le projet ira à son terme. La MP4/1 était née. Lors des premiers tests, la rigidité avait progressé de 50% par rapport à une coque en alu. Après avoir allégé la coque carbone au maximum, on gagnait énormément en poids tout en conservant une coque 25% plus rigide.
La MP4/1 constituait une bonne base mais depuis 3 ans, McLaren préparait son entrée dans le monde des Turbo. Comme beaucoup d’écuries anglaises, la formation de Woking avait un peu loupé la marche de cette révolution initiée par Renault. Plutôt que de prendre le train en marche aveuglément, il fut décidé de prendre son temps avec un seul objectif : frapper un grand coup en intégrant plusieurs révolutions techniques en même temps.
La MP4/2 allait reprendre tout ce qui marchait sur sa devancière tout en intégrant des solutions nouvelles. La coque était entièrement nouvelle, le concept plus compact malgré un nouveau réservoir de 220 litres, mais surtout Barnard avait trouvé la combine pour optimiser au maximum le train arrière. La McLaren était la première monoplace à utiliser la forme d’une bouteille de Coca-Cola à l’arrière de sa carrosserie. Les pontons, le capot moteur fusionnent autour de la suspension arrière. Toutes les monoplaces de course à travers le monde ont repris cette conception. La preuve qu’on a jamais fait mieux c’est qu’on l’utilise encore de nos jours.
Un autre aspect important dans la conception de la voiture a été l’utilisation poussée de la soufflerie. Si on a toujours utilisé l’écoulement du vent pour concevoir des voitures rapides, jamais l’analyse des données recueillies en soufflerie n’était allée aussi loin dans le détail. Surtout grâce à la parfaite maîtrise des outils, des maquettes, de la façon dont il faut les disposer, l’équipe possédait un atout inestimable : la qualité de leur travail en soufflerie leur permettait de faire une confiance aveugle aux données recueillies à la sortie du tunnel.
Techniques d’Avant Garde
Passer au moteur Turbo obligeait à trouver un partenaire sur le long terme. Le choix était finalement limité. Le châssis s’annonçait révolutionnaire et réussi, il fallait un moteur à la hauteur. En arrivant après tout le monde sur le “marché du Turbo”, l’équipe ne mettait pas toutes les chances de son côté. Barnard écarta Ferrari d’office (il était inenvisageable que la Scuderia fournisse sa principale rivale), puis Renault dont les liens avec Lotus étaient trop forts, puis BMW pour des raisons techniques. Dennis et Barnard avaient fait le tour, il n’y avait pas plus de moteur disponible que de poulets rôtis à 14 h un jour de marché. Les deux Anglais virent dans cette difficulté une opportunité rare. Ils allaient pouvoir faire un moteur sur mesure pour épouser un maximum leur concept unique et pour maîtriser au mieux toutes les parties de la monoplace.
On alla voir Porsche, qui n’était pas contre l’idée mais à ses conditions. Cela ne devait rien coûter à la marque. Le développement, les essais, la construction, tout devait être pris en charge. En échange Porsche mettait tout son savoir faire à disposition pour mettre au monde le meilleur moteur de la grille. La solution était toute trouvée. On fit appel à TAG (Techniques d’Avant Garde), société présente notamment dans l’aviation et crée par Akram Ojjeh, puis dirigée par son fils ainé Mansour Ojjeh. TAG prenait 25% des actions McLaren, et finançait le moteur, qui portera son nom. Tout était en place pour catapulter l’écurie tout en haut de la feuille des temps pour un sacré bout de temps.
Un moteur sur mesure
Au lieu de modifier son châssis pour y faire entrer un moteur, Barnard voulait que tout soit pensé comme un ensemble. Et l’Anglais savait exactement ce dont il avait besoin : un moteur V6, suffisamment compact pour adhérer à la philosophie de la voiture, avec un angle à 80 degrés. Il fallait également ménager assez de place au dessous du vilebrequin afin d’y ranger tous les accessoires du moteur. En effet, ceux ci ne devaient pas interférer avec le soubassement parfaitement réalisé pour renforcer l’effet de sol. Pour la première fois on allait concevoir un moteur unique, qui viendrait s’accorder avec un châssis affûté comme jamais. Porsche, TAG et McLaren étaient en train de donner un énorme coup de pied dans la porte. Tout le monde allait s’engager dans la brèche, malgré un gros coup dur, pas prévu au programme…
Effet d’annonce contre l’effet de sol
Dès le départ, le projet était entièrement basé sur sa capacité à profiter de l’effet de sol. Toutes les forces de l’entreprise étaient engagées vers cet objectif jusqu’au moment du terrible coup d’arrêt. En décembre 1982, le FIA décide subitement que l’effet de sol doit être interdit. En coulisses, Ferrari qui disposait d’un merveilleux moteur mais d’un châssis certainement moins bon que ce que préparait McLaren avait pesé de tout son poids pour obtenir cette interdiction. Barnard était en train de créer la meilleure voiture à effet de sol jamais produite, ils allaient lui couper l’herbe sous le pied. Barnard se souvient : “Si Ferrari arrivait à détruire l’avantage aérodynamique des équipes britanniques, elle avait des chances de gagner. L’histoire a démontré qu’elle n’avait fait que réduire l’avance de ses rivales”.
Barnard qui alla jusqu’à qualifier cette décision de “criminelle” remis son équipe au travail. Le concept global était de créer un plancher large, propre et lisse, un truc parfait pour faire passer l’air, une ventouse en plus joli. Chez McLaren on chiffre la perte à 50% de leur avance dans ce changement de règlement. Jenkins, qui était le bras droit de Barnard déclare plus tard : “il nous fallait faire des compromis. Et surtout il fallait faire vite. Un soir, nous nous sommes pointés au bureau, on a associé les deux meilleurs compromis. Par miracle, ça a marché. On a éteint la lumière, on est partis au pub, la voiture était prête”.
“Les pilotes étaient terrifiés”
La première fois que les pilotes ont testé la nouvelle MP4/2 ils se sont fait légèrement peur. Pour tout dire, ils étaient même terrifiés. Le moteur TAG Turbo développe 750 chevaux quand le Cosworth qu’ils utilisaient jusqu’à présent plafonne à 485. En bout de ligne droite, Alain Prost prend 65 km/h de plus. Le problème c’est que McLaren a conservé les freins de l’atmosphèrique. Les pilotes arrivent en bout de ligne droite à des vitesses jamais atteintes jusqu’à présent mais ne peuvent pas freiner. A chaque tentative, les freins prennent feu, devant le regard horrifié des pilotes qui commencent à se poser des questions et des ingénieurs qui ne trouvent pas de système de freinage à la hauteur. Ils finiront par trouver la solution, et une fois les freins changés Alain Prost part faire un test sur le Circuit Paul Ricard. Au bout de 3 tours, Alain sait qu’il a tiré le bon numéro. Il rentre au stand et rassure l’équipe : “Arrêtez de vous en faire les gars, elle est fantastique !”. Il ne s’est pas trompé.
Une gagneuse
Rapidement, tout le monde comprend que la MP4/2 sera l’arme ultime de cette saison 84. Lauda, qui était la star de l’équipe, puisque déjà champion du monde, insista pour assurer la majorité du développement de la monoplace. Mais Prost sera vite plus rapide que l’Autrichien. Alain accrochera 7 courses à son actif contre 5 mais cela ne suffit pas au français pour décrocher le titre. Il échoue une nouvelle fois si prêt du but, avec 0.5 points de retard sur Lauda. L’autrichien ne sait pas encore qu’il fera la saison de trop l’année suivante, Prost sait qu’il sera champion la prochaine fois, et McLaren a compris qu’ils étaient partis pour dominer pendant longtemps.
La MP4/2 malgré des problèmes récurrents de freins et de refroidissement gagnera 12 des 16 courses du championnat. La voiture était extrêmement solide et seuls 3 châssis furent construits. La MP4/2-1 pour Niki Lauda, la MP4/2-2 pour Alain Prost. et un mulet, la MP4/3 qui ne sera jamais vraiment utilisée. Le coup porté à la concurrence sera terrible et la domination sans partage de McLaren imposera à toutes les écuries de Formule 1 de revoir totalement leur façon de concevoir des monoplaces.
Pour aller plus loin sur cette saison 1984 : Monaco 1984, Prost à qui perd gagne
Classement des pilotes
1 N.LAUDA (AUT / MCLAREN-TAG PORCHE) 72 Pts.
2 A.PROST (FRA / MCLAREN-TAG PORCHE) 71,5 Pts.
3 E.DE ANGELIS (ITA / LOTUS-RENAULT) 34 Pts.
4 M.ALBORETO (ITA / FERRARI) 30.5 Pts.
5 N.PIQUET (BRA / BRABHAM-BMW) 29 Pts.
6 R.ARNOUX (FRA / FERRARI) 27 Pts.
7 D.WARWICK (GBR / RENAULT) 23 Pts.
8 K.ROSBERG (END / WILLIAMS-HONDA) 20,5 Pts.
9 N.MANSELL (GBR / LOTUS-RENAULT) 13 Pts.
10e A.SENNA (BRA / TOLEMAN-HART) 13 Pts.
Classement des constructeurs
1 MCLAREN-TAG PORSCHE 143,5 Pts.
2 FERRARI 57 Pts.
3 LOTUS-RENAULT 47 Pts.
4 BRABHAM-BMW 38 Pts.
5 RENAULT 34 Pts.
3 Comments
Bon, tout d’abord, dire ce qui me brûle les lèvres:
La meilleure, c’est la MP4/4!
John Barnard parti de Woking, Gordon Murray le remplace après avoir obtenu de Ron Dennis une liberté d’action à peu près totale.
Pour concevoir l’exceptionnelle MP4/4, Murray reprend les recettes qu’il avait appliquées chez Brabham sur la BT52.
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Bon c’est vrai, en 1984 la MP4/2 était absolument sensationnelle, et Williams s’est retrouvé un peu à la ramasse avec la FW09 qui, par comparaison, avait tout l’air d’un dinosaure!
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De toutes façons, à l’époque, j’étais un fervent -et très jeune- supporter de Renault!
Si je suivais « naturellement » les performances d’Alain Prost revenu chez Mc Laren, mon cœur était encore chez les Jaunes qui empruntaient malheureusement une pente descendante, après le terrible fiasco de 1983…
De sacrés souvenirs tout de même que cette F1 des années 80 avec la « bande des 4 »:
Prost-Piquet-Senna-Mansell!
J’étais jeune, mais je me rappelle très bien de cette période de la F1, que je suivais par passion, plutôt que par habitude maintenant.
A l’époque, les égos étaient déjà démesurés, mais avoir dans son écurie 2 pilotes capables d’être champion du monde n’effrayait personne.
Je me souviens des années Renault/Prost… de son sale caractère… de ses mots durs (en off) face à Arnoux dans une émission télé (Automoto?)… et surtout de ses futures bastons avec Senna.
Pour en revenir à cette époque, « l’Ordinateur » avait pris sous sa coupe « le (futur) professeur » et il me semble qu’il y avait eu un accord tacite, faisant de Lauda le champion du monde 84, avec l’aide de Prost, pour que l’année suivante Prost le soit à son tour.
Que ces années m’ont passionné…
Je regardais hier soir une émission, justement sur le sujet, sur AB-Moteur…
Bravo pour cet article (et pour votre site en général!)
en 84, j’avais 11 ans et c’est la première année où j’ai commencé à regarder la F1 (j’ai regretté de ne pas avoir 2 ou 3 ans de plus, de ne pas avoir commencé vers 81, et d’avoir manqué les exploits de Villeneuve. mais c’est une autre histoire).
Et comme je devais déjà être un peu franchouillard à l’époque, je suis devenu immédiatement un supporter de Prost et de Mc Laren!
Quelle époque et quelle équipe! les années TAG, avec le point d’orgue à Adelaide en 86 (il y avait quelques beaux restes en 87 mais Honda avait supplanté Porsche depuis longtemps). Les années Honda aussi avec le duo infernal (évidemment que la MP4/4 est la meilleure de toutes (2 chiffres: 3,5 secondes d’avance aux essais d’Imola sur tout le monde, 1 tour en course).
Cependant, une image de la saison 84 m’a marqué. c’est au moment de l’interruption de la course au 11ème tour à Brands Hatch. Les voitures de Prost et Lauda ont tellement d’avance qu’elles sont déjà arrêtées sur la grille, les 2 pilotes tranquillement sortis de leur voiture… alors que les suivants ne sont pas visibles à l’image…